Le cycle naturel des doshas - partie 1

Dans cette série d'articles, nous voilà arrivés à une notion clé en Ayurveda : LE TEMPS, ou KALA en sanskrit. Il s'agit de l'intégration, dans notre hygiène de vie et notre alimentation, du respect des heures de la journée et des cycles des saisons, chacun étant dominé successivement par l'un des trois doshas.

Dans la Caraka Samhità, l'un des ouvrages les plus importants en médecine ayurvédique, le temps est cité en première cause des maladies, c'est dire son importance ! "Le mauvais usage, le non-usage et l'usage excessif du temps, de l'intellect et des objets des sens sont la triple cause des troubles mentaux et physiques." Sutra 54 du chapitre 1 de Sūtrasthāna.

Comme souvent en Ayurvéda, les principes sont à la fois simples et complexes. D'une part, ils sont simples parce que nous avons tous fait l'expérience de certaines vérités de la vie quotidienne : par exemple, si nous ne nous couvrons pas suffisamment à l'approche de l'automne et du froid, il y a de grandes chances que nous attrapions un rhume. De même, nous savons qu'il est plus facile de s'endormir en respectant une routine de coucher régulière. 

Cependant, l'Ayurveda est bien plus complexe que cela. Par exemple, certaines personnes peuvent éprouver des difficultés à comprendre l'apparition de problèmes comme l'insomnie ou des troubles digestifs à l'arrivée de l'automne, alors même qu'elles ont repris une bonne routine et n'ont pas modifié leur alimentation. Cela s'explique par le fait que leur dosha Vata, progressivement déséquilibré et aggravé durant l'été, ne se manifeste pleinement qu'à l'automne, lorsque le froid s'installe.

Pour le moment, nous allons nous intéresser aux cycles des doshas sur une journée de 24H. Une nouvelle fois, mon objectif est de vous faire rentrer dans la logique ayurvédique pour que vous puissiez comprendre certaines causes de déséquilibre dans votre rythme de vie. Si vous n'avez pas lu les articles précédents sur les doshas Vata, Pitta et Kapha, je vous invite à prendre le temps de les lire et de revenir ensuite à la lecture de cet article, au risque sinon de ne pas véritablement comprendre cette logique ayurvédique.

>>  DE L'IMPORTANCE DU CYCLE JOURNALIER DES DOSHAS 

Les doshas suivent un cycle naturel, reflétant l'équilibre dynamique de la nature. Les activités métaboliques du corps sont régulées par les doshas sur une période de vingt-quatre heures, et chaque jour de notre vie, ils se relaient pour gérer différentes fonctions corporelles. Il est crucial de permettre à chaque dosha de se reposer ou du moins de réduire son activité pour se régénérer. Sinon, un dosha surmené finit par s'épuiser et devient incapable de remplir correctement ses fonctions, entraînant des déséquilibres et potentiellement des maladies.

Comme l'explique mon enseignant, le Vaidya Atreya Smith, "la nature s'est organisée de telle manière que chaque système ou fonction corporelle ne travaille pas en même temps." Si certaines fonctions comme la respiration et la circulation sanguine ne cessent jamais complètement, elles ralentissent durant le sommeil et le repos. Le non-respect de ce principe, tel que manger tard dans la nuit, ne pas dormir la nuit ou s'engager dans des activités intenses en soirée, perturbe l'équilibre des doshas. À long terme, cela peut entraîner des dysfonctionnements amenant éventuellement à une maladie.

Prenons l'exemple du système digestif : la régularité des repas est essentielle pour maintenir son efficacité. Cela permet au corps de produire les enzymes nécessaires au bon moment, déclenchant l'appétit et optimisant la digestion, sans création de toxines. En respectant ce rythme, le corps peut extraire un maximum d'énergie et de nutriments des aliments.

>>  LE CYCLE DES DOSHAS AU COURS DE LA JOURNEE

Il faut voir les doshas comme des vagues qui augmentent, arrivent à leur état le plus élevé puis diminuent. Toujours en prenant cette image, dans la vie, il va être préférable de traverser une mer avec des vagues modérées et régulières. Si on laisse les vagues grossir de trop, en déréglant un dosha, la navigation sera plus compliquée et moins agréable pour le passager.

 Lors d'une consultation ayurvédique, un bon praticien vous questionnera sur différents aspects du Kala :

• Il vous demandera vos horaires de repas, de coucher, de réveil, d'exercice physique, etc., afin d'évaluer la régularité de votre routine et son adéquation avec les cycles naturels des doshas, ainsi qu'avec votre constitution individuelle, ou Prakriti.

• En cas de symptômes ou de douleurs, il cherchera à savoir si leur intensité varie au cours de la journée, si elle est plus forte  au début, au milieu, à la fin de la journée ou durant la nuit. Cette information lui permettra de déterminer quel dosha est responsable du déséquilibre.

Au cours de la journée, Pitta est le dosha le plus dominant et tandis que Kapha prend le relais durant la nuit. Les périodes de transition de l'aube et du crépuscule sont gérées par le dosha Vata, tandis que les périodes de zénith, à midi et minuit, le sont par Pitta. Commençons par Kapha, qui commence autour de 6h/7h dans l'ouest de la France, au moment où la plupart d'entre nous débutons la journée.

>>  PERIODE KAPHA : 6h-10h et 18h-22h

 > Le matin : calme et concentration 

La période Kapha, qui débute véritablement autour de 6h ou 7h dans notre région, est marquée par des attributs tels que la lourdeur, la lenteur et la régularité. Ces qualités font de ce moment de la journée une phase idéale pour être calme et concentré. C'est le moment propice pour organiser, planifier la journée ou s'atteler à des tâches demandant un haut niveau de concentration. Vers 9h ou 10h, l'énergie Kapha, stable et ancrée sera renforcée par l'énergie Pitta apportant sa puissance de transformation. Cette deuxième période de la matinée permet de passer à l'action et de réaliser des tâches nécessitant dynamisme et efficacité, jusqu'à l'heure du déjeuner.

Pour comprendre ce concept de cycle très important en Ayurvéda, prenons deux exemples où en ne respectant par le cycle Kapha, on va venir l'aggraver et générer de la lourdeur, un manque d'énergie, de l'inertie.

• C'est ce qui peut arriver lors d'une grasse matinée quelque soit notre constitution. Où l'on pensait regagner de l'énergie, au contraire c'est une sensation de fatigue qui nous accompagnera toute la journée. Cette sensation est encore plus marquée lorsque le temps est gris, humide et froid, des caractéristiques associées à Kapha. Pour une personne de constitution Kapha, cela est particulièrement vrai. Si elle est en équilibre, elle sait généralement que traîner au lit ou dormir excessivement ne lui réussit pas.

• Le même phénomène peut se produire chez une personne de constitution Kapha lorsqu'elle mange un petit déjeuner tôt le matin. Cela peut sembler surprenant, car pour beaucoup d'entre nous, manger entre 6h et 8h, en pleine période Kapha, se passe sans problème. D'ailleurs, pour moi, il est inconcevable de ne pas manger dès le saut du lit ! Et cela s'explique bien du point de vue des doshas : étant de constitution Pitta, mon feu digestif est naturellement fort et démarre immédiatement le matin. Cependant, c'est tout le contraire pour une personne Kapha. Son feu digestif est beaucoup plus lent à démarrer, fonctionnant pleinement que 3 à 4 heures après le réveil. En conséquence, une personne Kapha, influencée par les normes sociales, ses parents, etc., peut se forcer à prendre un petit déjeuner tôt et ressentir par la suite une lourdeur, des nausées ou une baisse d'énergie. En revanche, si elle attend la période Pitta (généralement entre 9h et 11h), elle digéra parfaitement une petite collation et se sentira légère et énergique jusqu'à l'heure du déjeuner. Cela illustre bien l'importance d'adapter son rythme alimentaire à sa constitution ayurvédique.

Un excès de Kapha se fera plutôt sentir le matin que le soir. Au delà de la lourdeur, de léthargie citées ci-dessus, il pourra y avoir de la congestion dans le haut du corps, des excès de mucus, les yeux qui pleurent, l'installation d'une constipation... 

> Le soirée : calme et ralentissement

La période Kapha revient vers 18h/19h et nous appelle normalement à diminuer les activités professionnelles, à retrouver du calme, la famille, nos amis, notre lieu de vie pour préparer tranquillement l'heure du coucher autour de 21h-23h pour la plupart d'entre nous. Pour ma part, j'ai toujours senti qu'à partir de 18h, c'était fini pour moi. Mon mental n'est plus capable de se concentrer sur rien. C'est l'heure où Kapha est presque à son maximum et Pitta au plus bas.  

Dans notre société, cette période Kapha du soir est mise à mal de deux manières : 

• la période Vata qui est juste avant va déborder sur la période Kapha soit par des activités professionnelles trop tardives, des temps pseudo-récréatifs sur les ordinateurs et téléphones (réseaux sociaux...), des activités sportives intenses après 19H. On maintient alors Vata (le mouvement ) assez haut l'empêchant de descendre. Généralement, cela va induire un décalage voire des problèmes d'endormissement et des réveils en période Vata entre 2h et 4h. 

• le non-respect de cette période Kapha va induire chez certains un véritable regain d'énergie vers 21h à l'heure où le dosha Pitta revient comme cycle dominant les amenant à travailler la nuit alors même que Pitta a besoin d'être tranquille la nuit pour toutes les opérations de métabolisation (foie).

> Quelques variabilités à intégrer

- Hiver et été (latitude)

Sous nos latitudes, il y a une grande variation entre les heures de lever et de coucher du soleil entre l'été et l'hiver. Si on reprend l'image des vagues, il faut comprendre qu'en plein été l'amplitude des vagues sur la journée sera grande, on aura donc normalement moins besoin de dormir, on pourra normalement se lever plus tôt, décaler le diner vers 20h/20h30 sans problème. 

- Fuseau horaire (longitude)

Le 27 septembre à Nantes la longueur de la journée est de 11h56mn. Les premières lueurs sont à 7h30 et dernières lueurs à 20h23, soit 40 minutes plus tard qu'à Strasbourg. C'est pour cela que dans l'Ouest de la France, les cycles des doshas peuvent être un peu décalés.

- Petit dormeur / gros dormeur

Si on reprend ce même raisonnement  pour un vrai petit dormeur (moins de 6h de sommeil par nuit) l'amplitude du cycle des doshas sera en mode "été" tout au long de l'année. Et inversement pour les gros dormeurs (plus de 9h), ils seront en mode hiver.

- Du matin ou du soir

Nous savons aussi que certaines personnes sont vraiment du matin et d'autres plus du soir. Le cycle des doshas sera donc décalé d'une à d'eux heures. Dans ce cas précis, il sera effectivement important d'en tenir compte dans le choix de notre métier, de nos activités et du rythme de vie familiale pour ne pas être dans une hyper adaptation nuisible à notre équilibre sur le long terme.

Ainsi dans l'Ouest de la France, un adolescent ou un adulte "couche-tard de nature" aura sûrement pas mal de difficulté à se lever à 6h30 pour aller au collège ou au bureau à 8h tout au long de l'hiver.

>>  PERIODE PITTA : 10h-14h et 22h-2h

> La journée : action et transformation

Les attributs de Pitta, tels que la chaleur, l'intensité, la vivacité et la régularité, en font une énergie puissante et tranchante, idéale pour transformer les idées en actions. Cette période est favorable aux activités exigeant de l'énergie, de la concentration et de la clarté mentale. La combinaison des énergies de Pitta et de Kapha dans la matinée permet de maximiser sur un plan physique à la fois la concentration, la force  et l'endurance. C'est aussi un moment idéal pour se concentrer sur des tâches intellectuelles complexes, pour prendre des décisions.

Selon l’Ayurvéda, la période Pitta,  est aussi le moment du repas principal de la journée, car le feu digestif est à son maximum, permettant une meilleure digestion et absorption des nutriments. D'un point de vue extérieur, notamment celui des pays anglo-saxons, on remarque que la France est moins touchée par les problèmes de surpoids et les maladies cardiovasculaires. Une des raisons pourrait être que les Français continuent à valoriser le déjeuner comme un moment important de la journée, prenant le temps de manger à midi, en accord avec le cycle naturel des doshas, ce qui favorise une meilleure santé générale.

Prenons ici aussi un exemple pour illustrer comment une mauvaise utilisation de la période Pitta peut créer un déséquilibre :  

• Le dosha Pitta peut facilement se déséquilibrer chez une personne de constitution Pitta, si elle mène un mode de vie qui augmente l'intensité et la chaleur dans son corps particulièrement au moment où Pitta est à son maximum. Par exemple, une personne ayant un travail assez intense et choisissant de jouer régulièrement au squash, un sport très exigeant et chauffant, entre midi et deux, risque d'aggraver son dosha Pitta. Cela peut s'accentuer encore plus si cette personne ne prend pas le temps de manger correctement après l'effort. Sur le long terme, cette accumulation de chaleur et d'intensité va exacerber Pitta. En revanche, la même activité sportive pratiquée tôt le matin, dans un environnement plus frais, n'aura pas le même effet déséquilibrant sur Pitta. Le matin, surtout pendant les heures Kapha, la fraîcheur et la stabilité de ce dosha contrebalancent l'excès de chaleur généré par l'effort physique.

• Au contraire, une personne à prédominance Kapha se sentira revitalisée en allant courir sous le soleil le midi.  Légère et énergisée après avoir bien transpiré, cette activité stimulera son feu digestif sans pour autant accroître Pitta. 

Les répercussions d'un excès de Pitta peuvent se manifester de différentes manières : des troubles digestifs comme des brûlures d'estomac, des inflammations, des rougeurs sur la peau, ou d'autres signes d'une surchauffe interne. Sur le plan psychologique et émotionnel, une irritabilité accrue, de l'agressivité ou des accès de colère. 

Comme Pitta va avoir une tendance à être plus fortement augmenté la nuit, certains symptômes physiques se feront sentir plus  particulièrement la nuit : ulcères, douleurs inflammatoires, etc. 

> La nuit : métabolisation 

La première partie de la nuit est dominée par Pitta, et c'est à ce moment que le foie, organe associé à Pitta, est particulièrement actif. Selon l'Ayurvéda, il est essentiel d'être endormi pendant cette période pour permettre au corps d'accomplir ses nombreuses fonctions métaboliques, comme le nettoyage et la réparation. Pitta possède la capacité de discrimination, lui permettant de trier ce qui doit être conservé ou éliminé, tant sur le plan physique que mental et émotionnel. C'est également Pitta qui régule le niveau des hormones dans le sang. Ces processus complexes nécessitent un environnement paisible, sans perturbation.

> Le feu digestif et les horaires des repas 

 Pitta est actif tout au long de la journée et commence à diminuer vers 18h/19h. C'est pourquoi, en Ayurveda, il est conseillé de dîner tôt, idéalement autour de 19h en hiver et légèrement plus tard en été. Cependant, nos modes de vie modernes, entre obligations professionnelles et l'usage fréquent des téléphones portables qui captent notre attention sans que nous en soyons pleinement conscients, ont tendance à repousser l'heure du dîner. Pire encore, cela peut nous pousser à manger en excès, sous l'effet de la fatigue, du stress ou de l'inattention, en grignotant ou en ne percevant plus la sensation de satiété.

Jusqu'à environ 40/45 ans, ces dîners tardifs ou trop copieux peuvent ne pas causer de perturbations significatives. Mais avec le temps, ils peuvent engendrer une prise de poids légère mais continue, des troubles digestifs, des réveils nocturnes ou une sensation de lourdeur au lever.

 >> PERIODE VATA : 2h-6h et 14h-18h

> L'après-midi  :  mouvement et  créativité 

Les attributs de Vata sont la légèreté, la mobilité, la rapidité, la variabilité, la subtilité et font que la période Vata qui se manifeste dans l'après-midi est un moment propice au mouvement, aux activités créatives et aux interactions sociales. C'est également le moment où les sportifs atteignent leur meilleure performance. Si vous disposez d'un bureau assis-debout, vous remarquerez instinctivement que c'est souvent à ce moment de la journée que vous ressentez le besoin de vous lever, de marcher pour stimuler votre réflexion, surtout si vous avez beaucoup de Vata dans votre constitution.

En revanche, c'est une période où il est plus difficile pour les enfants de rester concentrés et immobiles derrière un bureau. Cette dynamique des doshas explique pourquoi, le matin, lorsque Vata est à son niveau le plus bas, entre 9h et 11h, adultes et enfants sont alors davantage capables de rester assis et concentrés.

Il est très intéressant pour chacun de nous de comprendre comment ces deux qualités opposées, la stabilité (concentration) de Kapha et la mobilité (créativité) de Vata, s'alternent et se complètent en nous. Par exemple, je sais que si j'ai besoin de trouver de nouvelles idées, elles surgiront naturellement en marchant seule au bord de l'Erdre. Dans une vie professionnelle précédente, elles me venaient tôt le matin dans le TGV, une période régie par Vata. En revanche, pour des tâches nécessitant une attention prolongée, comme des relectures de dossiers, la matinée (heure Kapha) est idéale pour moi. Pour de longues corrections, je sais qu'un café ou un parc, où il y a un peu de mouvement, mais sans trop de bruit, est idéal pour moi pour maintenir un bon niveau d'énergie et rester concentrée. 

Voyons les conséquences d'une mauvaise utilisation de la période Vata : 

> La nuit :  réparation psychique et éveil

Vata revient vers 2h/3h du matin. Cette dernière période de la nuit est très importante car c'est une période où notre psychisme se répare... Vata va rendre notre sommeil plus léger vers 5h/6h suivant la saison. C'est le moment où la nature se réveille, les oiseaux commencent à chanter et c'est une heure propice pour sentir l'énergie commencer à circuler dans notre corps et notre esprit et donc nous réveiller. 

C'est une heure propice pour aller à la selle puisque c'est le dosha Vata qui gère le processus d'élimination. 

Dans le déséquilibre, l'excès de Vata va provoquer les insomnies typique de 3h/4h. Le sommeil trop léger, les mouvements du mental trop importants vont empêcher de retourner vers un sommeil profond.